Cette vieille dame avait toujours un chat qui se frottait à ses jambes. Ce chat, invariablement siamois, était remplacé au fil des décennies. Ou bien il était immortel.
Car toujours droite comme un "i", réservée mais au caractère bien trempé, cette dame a vécu longtemps debout, presque cent ans.
Madeleine, c'est son prénom, avait fui avec sa famille son Alsace natale, envahie par les Prussiens en 1870. A Grenoble où ils se sont installés, elle rencontra son futur mari : un médecin, ancien officier de marine, tout comme le père de Madeleine.
Pendant la dernière guerre, celle que certains surnommaient "la patronne" (avec un mélange d'affection et de respect) avait connue son heure de gloire.
La voici, telle que rapportée par un de ses petits-fils :
"Au début de 1942, le village servait de base de repos pour les soldats allemands. ces derniers ne manquaient pas cependant, de s'entraîner en "jouant à la petite guerre", généralement à 14:00, soit l'heure sacrée de la sieste de grand-mère. Un jour, les soldats choisissent les prés derrière la maison pour mener leurs manœuvres. Hurlements, rafales d'armes automatiques et éclatements de grenade : le grand jeu...
Réveillé en sursaut, la patronne se précipite sur la galerie et et, apercevant un sous-officier, l'apostrophe en allemand : "En voilà des manières! Allez vous-en, et vite !" Éberlué, le sous-officier regarde cette vieille dame, visiblement mécontente, avec son chapeau en bataille et son tour de cou en velours noir. Le soldat siffle sa troupe et disparaît avec elle, sans plus de façons. "
Madeleine avait remporté la bataille du village. Le lendemain, un officier est venu présenter des excuses. Grand soulagement dans la famille, qui s'attendait plutôt à un ordre de réquisition.
J'ai découvert cette photo dans un album à la reliure déchirée : elle m'a immédiatement fait penser à cette anecdote. Elle a dû se produire trois ou quatre ans après que la photo ait été prise.